Innovation, si nous adoptions l’effectuation ?
Comment nos entreprises doivent s’inspirer de l’entrepreneuriat pour innover et se transformer ?
Toutes les sociétés sont aujourd’hui conscientes de la nécessité de se réinventer pour survivre et prospérer dans un monde en transformation rapide. Elles observent les progrès rapides des start-up et se demandent comment elles peuvent, elles aussi, s’inscrire dans cette dynamique entrepreneuriale. Pour elles , une des façons de se réinventer est donc de s’inspirer des pratiques entrepreneuriales qui ont récemment émergées. Mais on voit bien que la solution ne va pas résider dans une fuite en avant vers de nouvelles approches miracles.
Adopter ces pratiques, est-ce suffisant ? Ne risque-t-on pas de passer à côté du vrai problème ?
Avant d’adopter une solution, il faut comprendre. Quelle est la vraie difficulté pour nos sociétés? Pourquoi, alors qu’elles ne parlent que d’innovation, n’arrivent-elles pas à se transformer ? Le problème est profond, il touche à la culture et à l’identité de nos sociétés. Il faut revenir à la nature même de l’innovation et de l’entrepreneuriat, bien en comprendre la logique et, à partir de là, rebâtir une approche qui ne peut être que spécifique à chaque organisation.
Justement, « l’effectuation » est partie d’une remise en cause de ce que nous avons appelé les mythes de l’innovation et de l’entrepreneuriat.
Quels sont-ils et pourquoi est-il important de les dénoncer ?
Le premier, c’est que, pour innover, il faut partir d’une grande idée. C’est faux. Beaucoup d’entreprises ont démarré à partir d’une idée banale, voire pas d’idée du tout.
Deuxième mythe, la prise de risque. On dit souvent que les entrepreneurs aiment le risque, mais c’est faux. Ils acceptent d’en prendre, ce qui est très différent. Ils cherchent surtout à le contrôler. On peut innover et entreprendre de grandes choses tout en restant dans une logique de contrôle de risque.
Troisième mythe, l’entrepreneur super-héros. Notre époque veut des héros, mais l’entrepreneur n’est pas quelqu’un qui possède des pouvoirs particuliers. Quand on étudie l’entrepreneuriat, on s’aperçoit que c’est une activité pratiquée par des gens très différents, de toutes origines, religions, âges ou niveaux de formation. Un entrepreneur est quelqu’un de normal, qui possède des qualités et des défauts, et qui va compenser ses défauts, ou ses faiblesses, en travaillant avec d’autres. L’effectuation insiste sur le « travailler avec d’autres »,
Quels sont les principes de l’effectuation ?
Le premier, c’est que les entrepreneurs démarrent avec ce qu’ils ont sous la main. La logique « causale » indique qu’il faut d’abord fixer un objectif, puis trouver les ressources pour l’atteindre. Au contraire, les entrepreneurs partent des ressources dont ils disposent et se disent : « Que puis-je faire avec cela ? » On parie ici sur l’imagination.
Le deuxième principe, c’est le raisonnement en perte acceptable. La logique causale dit « décider du lancement d’un projet en comparant son coût et son gain attendu ». Mais, on est incapable d’estimer le gain attendu. Les entrepreneurs décident donc en se disant : « Je vais consacrer tel temps et tel budget à telle action, je ne sais pas vraiment ce que ça donnera, mais si ça ne marche pas, je peux me permettre cette perte. » On voit ici la logique de contrôle de risque évoqué plus tôt.
Le troisième principe est celui du « patchwork fou » : l’entrepreneur développe son projet en créant un réseau croissant de parties prenantes qui lui apportent des ressources. On voit ici la dimension sociale de l’entrepreneuriat et de l’innovation : on avance en travaillant avec d’autres, et en construisant le projet collectivement.
Le quatrième principe consiste à tirer parti des surprises. Les entrepreneurs savent qu’il y en aura, et ils s’organisent pour en tirer parti plutôt que de passer des jours à tout planifier.
Le cinquième principe est celui du pilote dans l’avion. L’entrepreneur n’est pas un passager, il n’essaie pas de devenir l’avenir de tel ou tel marché, mais il est là pour construire ce marché. Il n’y a donc aucune tendance inéluctable. On est là au cœur des ruptures que l’on voit en ce moment.
la logique « effectuale » est une aventure et un chemin, qui permet de construire l’avenir plutôt que de le prédire, qui privilégie la coopération avec les parties prenantes pour réduire l’incertitude et créer de nouveaux marchés et business models, qui mêle intimement action et réflexion pour avancer dans un monde complexe.
Comment pouvons nous favoriser la mise en œuvre de ces principes de l’effectuation ?
La clé est d’être logique. Ces principes partent de l’individu, pas d’une méthode. Donc ce sont les individus qui comptent, en particulier les managers qui vont autoriser ou pas leur mise en œuvre. C’est donc avant tout un changement de posture qu’il faut déclencher, pas le lancement d’un programme d’innovation.
En fait l’effectuation est beaucoup plus qu’une approche entrepreneuriale. Elle repose sur des principes forts. Le changement démarre par l’individu, il se développe et devient tangible lorsque les individus s’associent sur une base de motivation réciproque, et la forme qu’il prend au final ne peut être prévue à l’avance. Elle résulte d’une négociation en continu entre les différentes parties prenantes du projet. Une telle vision n’exclut pas le leadership, mais elle est profondément émergente. Elle fait confiance aux acteurs pour créer spontanément et de manière auto-organisée des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent. Cela est vrai pour le management mais aussi pour la société dans son ensemble. C’est en cela, effectivement, que les principes de l’effectuation sont féconds. Les grandes ruptures que nous vivons ont un point commun : l’émergence de l’individu comme maître de son destin.